L'évasion silencieuse de Lena Constante

L'évasion silencieuse de Lena Constante

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Shelton, le 16 décembre 2012 (Chalon-sur-Saône, Inscrit le 15 février 2005, 67 ans)
La note : 10 étoiles
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Je n'ai peut-être pas les mots...

Cela faisait longtemps que j’avais envie de vous parler de Lena Constante et de son ouvrage L’évasion silencieuse. J’avoue que je n’arrivais pas à mettre des mots sur une lecture forte et, surtout, sur une rencontre inoubliable. C’était en septembre 1990, à Nancy…

Tout a commencé par une attachée de presse qui me conseillait de lire un ouvrage qu’elle présentait comme un témoignage fort et dense d’une femme, artiste de grande classe, sur les prisons de Roumanie durant le régime communiste. Je prenais cela pour un livre politique et, sans trop de conviction, je me lançai dans la lecture…

Très vite j’ai compris qu’il ne s’agissait pas là d’un petit livre politique et d’une simple critique d’un régime dictatorial. En fait, Léna était avant tout une artiste prise au piège de la politique. Elle était l’amie de la femme d’un dirigeant communiste, Lucretiu Patrascanu, victime d’une purge de type stalinien. Elle est alors torturée jusqu’à la signature d’aveux qui serviront contre Patrascanu qui, lui, sera condamné à mort et exécuté. Lena sera, elle, condamnée à 12 ans de prison dont huit d’isolement et ce sont ces fameuses années de solitude qu’elle raconte dans son ouvrage L’évasion silencieuse.

Comment s’évader quand on est dans une prison roumaine particulièrement hostile où chacun, y compris les gardiens, craint pour sa vie ? C’est par son esprit, par sa capacité créative, par son imagination que Lena va s’échapper et très loin…

Qu’est-ce qu’un mur, qu’est-ce qu’un lien, quand la tête nous porte à l’infini. On l’enferme, elle est seule, elle n’a pas de papier, pas de crayon, qu’à cela ne tienne elle composera des vers, en français, dont elle remplira sa mémoire. Rien ne pourra l’empêcher de créer. C’est son métier, son univers, sa vie…

Et c’est maintenant que je dois parler de cette rencontre extraordinaire. Après avoir lu le livre, après avoir donné mon accord pour une émission en direct sur une radio nancéienne, voilà Léna Constante et sa sœur devant moi. Nous sommes sous le chapiteau du Livre sur la place, à cette époque encore sur la place Stanislas. Elles vont venir avec nous à la radio. Je n’ai pas une voiture mais une sorte de camionnette aménagée pour la famille. La hauteur est assez conséquente et ce n’est pas facile pour deux dames d’un certain âge. Nous ne parlons pas encore beaucoup, et à l’arrivée, la sœur, dont je ne me souviens pas du prénom, chute, heureusement pas trop lourdement, car elle avait oublié la hauteur du véhicule. Cela met un peu de tension supplémentaire et j’avoue être en situation délicate. A la fois responsable de ces deux dames que j’ai pris en compte pour une durée de deux heures environ, et réalisateur d’une émission en direct qui a été annoncée et qui doit être à la hauteur… La veille, Lena Constante est passée à la télévision avec Patrick Poivre d’Arvor, aujourd’hui c’est à mon tour de la recevoir à la radio… Serai-je à la hauteur ? Le doute est bien là…

Tout en gardant pour moi l’intensité de la rencontre et cette émotion impossible à raconter, je voudrais vous dire ce qui s’est passé ce jour-là, au bout de quelques minutes. Nous étions, Lena et moi, dans le bocal, studio du direct avec vision sur le technicien et les personnes qui accompagnaient… Il devait y avoir une dizaine de personnes qui nous écoutaient et nous regardaient tout en discutant. Lena explique comment elle s’est retrouvée en prison, ce qu’elle a enduré, comment elle tentait de survivre… c’était fort, mais un peu attendu et on voyait les « spectateurs » de l’émission faire leur petits commentaires…

A un moment, je lui demande de nous raconter l’épisode de l’arbre scié. Une histoire simple… Lena découvre que par la fenêtre elle peut apercevoir un arbre. C’est le seul plaisir qui lui reste. Tous les jours elle le regarde, elle lui parle comme s’il était son dernier ami, son seul contact avec l’extérieur et ce d’autant plus qu’elle voit se poser sur une branche un oiseau… Cet oiseau c’est la rupture de son isolement… Le directeur de la prison fait scier cet arbre. Elle pleure en entendant l’arbre tomber. Elle est désespérée. Elle ne pourra pas survivre à la mort de cet arbre…

Le silence s’est fait partout. Je suis entièrement suspendu à ses mots. Le technicien réprime une petite larme sur la joue. Tous les accompagnateurs se sont tus, eux-aussi, attendent la suite de l’histoire…

Lena est aux limites des larmes, elle va poursuivre… Quand l’arbre est tombé, elle ouvre les yeux et découvre la montagne. L’arbre lui cachait la vue de cette montagne avec sa beauté, ses arbres, sa vie… Son cœur s’accélère, en voulant lui nuire le directeur de la prison lui a ouvert des horizons plus larges, elle est heureuse et elle pleure en nous racontant cela… Nous finissons par tous être submergés par cette magnifique émotion, ce goût de la résistance absolue, cette artiste ne pouvait pas être enfermée, elle se libérerait partout et toujours…

Si vous n’avez pas encore lu L’évasion silencieuse, franchement, procurez-vous cet ouvrage et plongez sans retenue dans l’univers de Lena Constante et comprenez qu’un artiste ne peut pas se limiter aux murs d’une prison, il trouvera toujours une façon de sortir, de se libérer, de rejoindre l’universel et c’est pour cela que c’est un artiste !

Aujourd’hui Lena est décédée. J’ai reçu d’elle quelques lettres après cette rencontre magique et encore aujourd’hui, il m’arrive d’ouvrir ce livre et de l’entendre me raconter cette vie en prison, une expérience que l’on ne peut souhaiter à personne mais dont elle est sortie encore plus grande et plus forte…

Merci Lena pour ces heures inoubliables…

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Les éditions

  • L'Évasion silencieuse [Texte imprimé], trois mille jours, seule, dans les prisons roumaines Lena Constante
    de Constante, Lena
    la Découverte / Cahiers libres.
    ISBN : 9782707119605 ; 19,06 € ; 28/08/1990 ; 298 p. ; Broché
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  Magnifiques, tes mots, Shelton! 6 Laventuriere 23 janvier 2013 @ 14:09

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